Le Devoir | Des imams canadiens lancent une fatwa contre le groupe EI

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Des imams canadiens lancent une fatwa contre le groupe EI

Le Devoir | 12 mars 2015

Le Conseil suprême islamique du Canada a envoyé mercredi un message fort qui devrait résonner dans les mosquées implantées aux quatre coins du pays : les actions du groupe État islamique sont contraires à l’islam et les jeunes Canadiens tentés de se joindre à ce groupe se font tendre un « piège » qu’ils doivent à tout prix éviter.

Le président de l’organisation basée à Calgary, l’imam Syed Soharwardy, a annoncé mercredi le lancement d’une fatwa appuyée par 38 imams et universitaires du pays, y compris deux Montréalais. D’une même voix, ceux-ci dénoncent les agissements de l’EI et les méthodes de recrutement de l’organisation. Une fatwa est un avis juridique émis par un imam ou un érudit musulman qui permet de lier les enseignements de la loi islamique à une réalité particulière. Il s’agit d’un avis non contraignant qui peut néanmoins exercer un important poids moral sur la communauté musulmane.

Dans leur document, les imams dénoncent avec véhémence les membres de l’EI, qui« trompent les musulmans dans le but de les détruire ». Sans ambiguïté, ils y énumèrent une série d’actions considérées comme « anti-islamiques » et« complètement interdites », qui rappellent les récentes exactions de l’organisation terroriste : capturer et décapiter des otages (musulmans ou non), mutiler un corps humain, brûler vifs des soldats ennemis ou encore détruire des mosquées. «L’EI a commis toutes ces violations de la façon la plus horrible et inhumaine qui soit, écrit-on.Ces actions sont interdites en toutes circonstances au sein de l’islam. »

Mercredi, le Conseil suprême islamique a expliqué que la publication de cet édit« historique » était devenue nécessaire pour éviter toutes ambiguïtés ou interprétations erronées dans le discours public. « Nous espérons que cette fatwa aidera le gouvernement canadien, ses ministres et les médias à ne pas lier l’islam, les musulmans et des termes comme le djihad à la violence et l’extrémisme causés par des organisations terroristes comme l’EI ».

Éviter le «piège»

Dans leur appel aux Canadiens, les imams et intellectuels musulmans s’adressent tout particulièrement aux jeunes. Ils leur demandent de ne pas se laisser influencer par les discours, les chansons et les écrits disponibles sur Internet, produits par « des imposteurs qui prétendent être des musulmans ». « C’est un piège à musulmans. » Le document exhorte les jeunes musulmans embrigadés au sein de l’EI à se repentir et à quitter l’organisation.

Parmi ces conseils inspirés des enseignements du Coran, les signataires de l’avis décochent toutefois quelques flèches aux pays occidentaux en condamnant notamment les politiques du Canada et des États-Unis au Moyen-Orient. Ils montrent également du doigt les médias, qui « favorisent intentionnellement l’intolérance envers l’islam et les musulmans ».

En dépit de ces critiques, les leaders affirment en conclusion qu’une attaque contre le Canada constituerait une atteinte à la liberté de tous les musulmans du pays. « Il est du devoir de chaque musulman canadien de protéger le Canada », ajoutent-ils.

Premier pas important

Le chargé de cours à l’École de politique appliquée de l’Université de Sherbrooke et spécialiste du discours islamiste, Mohamed Ourya, croit que la fatwa lancée mercredi constitue une première étape importante et symbolique, mais que le travail qui reste à faire est crucial.

« C’est un premier pas qu’il fallait faire, mais il faut le consolider à travers des liens sur les réseaux sociaux et avec les mosquées. Il faudrait aussi que tous les imams du Canada adhèrent à cette fatwa et en fassent la promotion dans leur mosquée », souligne-t-il.

Celui qui agit également à titre de chercheur associé à l’Observatoire sur le Moyen-Orient et l’Afrique du Nord de la Chaire Raoul-Dandurand de l’UQAM dit espérer que cette sortie publique aura des échos à travers le pays, mais demeure prudent. « Ce n’est pas en lançant une fatwa contre l’État islamique que le recrutement va cesser. Ça c’est clair. […] Je crois que les dirigeants musulmans ont lancé cette fatwa pour se prononcer en faveur du pacte social canadien et montrer leur attachement à la société canadienne. »

Par définition, une fatwa n’est pas un appel à la violence, comme l’a laissé entendre le cas très médiatisé de l’écrivain Salman Rushdie, précise par ailleurs M. Ourya. L’ayatollah iranien Khomeini a en effet réclamé l’exécution de M. Rushdie dans une fatwa émise en 1989.

« La fatwa ne concerne que celui qui l’a émise et ceux qui y adhèrent », dit le spécialiste. Ce qui signifie que l’EI pourrait lancer sa propre fatwa et obtenir un avis qui diffère complètement de celui des imams canadiens. Des avis semblables à celui dévoilé mercredi ont notamment été publiés en Syrie, en Arabie saoudite et en Grande-Bretagne.

De son côté, le professeur émérite au Département de philosophie de l’UQAM, Georges Leroux, se dit « agréablement surpris » par l’argumentaire détaillé présenté par les imams mercredi. Il juge que ce discours a toutes les chances d’influencer les prédications hebdomadaires de plusieurs imams au pays.

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